Au Japon, les chasseurs de baleine veulent la peau de Paul Watson

Pour les pĂȘcheurs de cĂ©tacĂ©s, dont la sociĂ©tĂ© propriĂ©taire du «Kangei Maru», l’activiste Ă©cologiste est vu comme un empĂȘcheur de tourner en rond et doit ĂȘtre puni.

par Karyn Nishimura, correspondante Ă  Tokyo, publiĂ© aujourd’hui Ă  18h34

Le Kangei Maru vogue en majestĂ© au large des cĂŽtes Pacifique du Japon. Ce bateau usine flambant neuf est le nouveau navire amiral de la flotte baleiniĂšre japonaise. BĂątiment de 113 mĂštres de long, 21 de large et quelque 9 200 tonnes, construit Ă  Shimonoseki, le fief de feu l’ex-Premier ministre nationaliste Shinzo Abe, le Kangei Maru a pris la mer en mai.

C’est l’oeuvre d’une vie pour Hideki Tokoro, volubile patron de Kyodo Senpaku, sociĂ©tĂ© fer de lance de la pĂȘche de cĂ©tacĂ©s dont la viande est dĂ©sormais ouvertement destinĂ©e Ă  la consommation.

Kyodo Senpaku est la bĂȘte noire de l’activiste Ă©cologiste Paul Watson, interpellĂ© le 21 juillet au Groenland, et de son organisation Sea Shepherd. La rĂ©ciproque est vraie. «Ce Watson a commis de graves dĂ©lits : il a foncĂ© sur nos navires, il y a eu des blessĂ©s parmi nos Ă©quipages, cela relĂšve de la tentative de meurtre, lance Hideki Tokoro, lors d’un entretien avec LibĂ©ration ce mercredi 23 juillet 2014. Je souhaite Ă©videmment qu’il soit extradĂ© au Japon et puni pour les dommages infligĂ©s.» Et de rĂ©agir aussi Ă  l’intervention du prĂ©sident français, Emmanuel Macron, demandant la libĂ©ration de Watson. «Macron se trompe : il ne sait pas ce qui s’est passĂ© sur les bateaux, rapporte-t-il. En tant qu’entreprise privĂ©e, nous sommes fĂąchĂ©s contre la France. Mais cela relĂšve dĂ©sormais de la diplomatie d’Etat Ă  Etat. Le gouvernement japonais devrait davantage expliquer notre position.»

A l’origine de sa colĂšre, se trouve le souvenir de collisions et incidents rĂ©pĂ©tĂ©s en mer entre les bateaux de Kyodo Senpaku et ceux de Sea Shepherd, en 2010 notamment. Pour cette raison, Paul Watson faisait l’objet d’un mandat d’arrĂȘt Ă©mis cette mĂȘme annĂ©e au Japon, puis Ă©largi Ă  l’échelle internationale en 2012 par le biais d’une notice rouge Interpol. Raison invoquĂ©e : obstruction d’activitĂ©s pour les bateaux baleiniers japonais, dont Ă  l’époque le Nisshin Maru, navire amiral dĂ©sormais Ă  la retraite qu’exploitait aussi Kyodo Senpaku. Cette firme et l’Institut de recherche sur les cĂ©tacĂ©s disent avoir Ă©tĂ© la cible «d’incessantes campagnes de harcĂšlement» lors de leurs missions dites de recherche dans l’ocĂ©an Austral. A l’époque, le Japon affirmait ne pas chasser Ă  des fins commerciales, mais dans un but scientifique, ce qui Ă©tait perçu comme un prĂ©texte, car une partie de la viande finissait sur les Ă©tals. La situation a Ă©tĂ© clarifiĂ©e lorsque le gouvernement japonais de Shinzo Abe a dĂ©cidĂ© de quitter la Commission baleiniĂšre internationale (CBI) en 2019 et de s’autoriser Ă  chasser la baleine uniquement le long de ses cĂŽtes.

«Campagnes radicales»

«Nous pĂȘchons pour le commerce et nous ne le faisons que dans les zones nippones en fonction de quotas fixĂ©s par le gouvernement, assure Hideki Tokoro. C’est suffisant. Depuis l’entrĂ©e en activitĂ© du Kangei Maru, 85 baleines ont Ă©tĂ© prises. Nous n’avons pas du tout l’intention d’en chasser dans les eaux de l’Antarctique dans un but commercial, cela n’est pas nĂ©cessaire.» Toutefois, prĂ©cise-t-il, «nous irons si les autoritĂ©s nous demandent de nous y rendre pour des missions de recherche. C’est pour cela que le Kangei Maru est dotĂ© d’une capacitĂ© suffisante pour naviguer jusqu’à l’ocĂ©an Austral.»

Selon lui, «les espĂšces de baleines prises ne sont pas en danger, en pĂȘcher est au contraire nĂ©cessaire pour prĂ©server la faune marine. Elles mangent chaque jour l’équivalent de 4 % de leur masse corporelle, c’est colossal, et elles rompent l’équilibre de la chaĂźne alimentaire. C’est de cela que nous devrions discuter calmement. Mais avec les activistes, c’est impossible, puisque leur but est de mener des campagnes radicales afin de nourrir les dons qui les font vivre.»

RĂ©cit national

A l’inverse, Sea Shepherd soupçonne le Japon de vouloir renvoyer ses baleiniers dans l’ocĂ©an Austral dĂšs 2025 et d’avoir voulu stopper au prĂ©alable toute action de l’organisation. Il s’agirait d’une sommation adressĂ©e Ă  la partie adverse par les autoritĂ©s japonaises, alors que Watson envisageait d’aller perturber le Kangei Maru. InterrogĂ© sur ce point, le porte-parole du gouvernement, Yoshimasa Hayashi, n’a pas dit un mot sur l’éventuel rĂŽle de l’exĂ©cutif nippon dans cette arrestation, se contentant de signifier que «l’enquĂȘte sur les faits remontant Ă  2010 relĂšve des autoritĂ©s de sĂ©curitĂ© maritimes nippones, qui agiront comme il se doit en coopĂ©ration avec les ministĂšres et agences gouvernementales concernĂ©s».

Elu du Parti libĂ©ral-dĂ©mocrate (PLD) au pouvoir, conservateur, Hayashi est lui-mĂȘme un des dĂ©fenseurs de la chasse Ă  la baleine. Il s’est fendu d’un message de fĂ©licitations et d’encouragements pour la construction du Kangei Maru, au titre de porte-parole du gouvernement, dans un long publireportage dans le Yamaguchi Shimbun (dĂ©partement oĂč se trouve Shimonoseki), quotidien datĂ© du 29 mars 2024 dont LibĂ©ration possĂšde un exemplaire. Le numĂ©ro 2 de l’exĂ©cutif voisine dans les colonnes de cette promotion avec un sĂ©nateur, un dĂ©putĂ©, le gouverneur de Yamaguchi et le maire de Shimonoseki. De mĂȘme, lors d’une rĂ©ception pour fĂȘter le Kangei Maru Ă  laquelle LibĂ©ration a eu accĂšs dans un grand hĂŽtel de cette mĂȘme ville, la prĂ©sence de notables et d’élus de la rĂ©gion Ă©tait trĂšs visibles. Ceux-ci vantaient les mĂ©rites de la viande de baleine, la chasse faisant selon eux partie du rĂ©cit national.