Des « jobbeurs » comme on les nomme, ces jeunes venus de tout le pays pour vendre des stupĂ©fiants dans les citĂ©s des quartiers nord, de jeunes adultes aux prises avec de sĂ©vĂšres troubles mentaux, un rescapĂ© de l’enfer de Syrie oĂč ses parents radicalisĂ©s avaient emmenĂ© toute la famille il y a dix ans
 Au tribunal correctionnel de Marseille, les audiences de comparution immĂ©diate du mois d’aoĂ»t livrent chaque aprĂšs-midi un aperçu sur le profil de la main-d’Ɠuvre des rĂ©seaux de drogue. Au dĂ©tour des interrogatoires, beaucoup Ă©voquent leur peur de parler, la contrainte et leur terreur de se retrouver en prison parmi leurs « employeurs ».

« A 30 ans, je serai mort de toute façon », lĂąche un garçon de 19 ans de Saint-LĂŽ (Manche) que sa mĂšre a mis dehors aprĂšs des violences sur ses frĂšre et sƓur. « Vous avez un domicile Ă  Marseille ?  », lui demande la prĂ©sidente. – « Le 115 », lĂąche ce garçon placĂ© sous curatelle, interpellĂ© sur un point de vente de stupĂ©fiants, le 10 aoĂ»t. Le tribunal choisit de renvoyer l’affaire en octobre, le temps de rĂ©aliser une expertise psychiatrique tant son comportement semble prĂ©occupant. En attendant, le jeune Normand est placĂ© en dĂ©tention comme l’a requis la procureure en insistant sur le fait que, depuis juin, il multiplie les interpellations Ă  Marseille. « Il a Ă©tĂ© condamnĂ© le 4 aoĂ»t pour des stupĂ©fiants Ă  du sursis probatoire. Nous sommes aujourd’hui le 12, l’encre n’a pas eu le temps de sĂ©cher sur son casier judiciaire. Il faut s’assurer qu’il sera bien prĂ©sent Ă  son procĂšs. »

Sous curatelle lui aussi, un jeune Roubaisien venu « en vacances Ă  Marseille » et interpellĂ© dans la citĂ© Campagne LĂ©vĂȘque, haut lieu du trafic, en possession d’un sac de supermarchĂ© contenant 292 grammes de rĂ©sine de cannabis et 130 grammes d’herbe. « C’est un trafic forcĂ©, j’étais venu pour faire guetteur, pas pour vendre, aprĂšs j’ai Ă©tĂ© forcĂ©, ils ont pris mes papiers d’identitĂ©. » Pour ce jeune homme qui a connu placements en foyer durant sa minoritĂ© et mĂȘme en Ă©tablissement pĂ©nitentiaire pour mineurs en raison de contrĂŽles judiciaires non respectĂ©s, la procureure propose une peine mixte : deux mois de prison ferme et huit mois de sursis probatoire, tout en sachant qu’« il va se retrouver aux Baumettes, dans un environnement marseillais, et ĂȘtre embrigadĂ© par les jeunes en dĂ©tention ».

« Certains abusent de votre faiblesse » ConfrontĂ©s Ă  une pĂ©nurie de main-d’Ɠuvre, les rĂ©seaux multiplient les annonces allĂ©chantes d’emploi sur les rĂ©seaux sociaux, promettant de bons salaires et la sĂ©curitĂ©. Avec son tee-shirt rose qu’il porte encore dans le box des dĂ©tenus, Amor, un AlgĂ©rien ĂągĂ© de 25 ans, s’était facilement fait repĂ©rer aux Iris, dans le 14e arrondissement. « Je passais par-lĂ , j’ai croisĂ© un guetteur qui m’a proposĂ©, je n’ai pas d’argent et je ne connais personne, mais c’est la premiĂšre et derniĂšre fois », explique le jeune homme arrivĂ© en France il y a cinq mois et Ă  Marseille deux semaines plus tĂŽt. « Il est venu chercher du travail dans les stups », affirme la procureure, pour laquelle « on n’a pas sa place sur le territoire quand on vient profiter de la marĂ©e de stupĂ©fiants dans les citĂ©s marseillaises ».

MĂȘme les personnalitĂ©s les plus fragiles sont recrutĂ©es, Ă  l’image de Yanis, 21 ans, qui, ces derniers temps, dormait aux urgences psychiatriques de l’hĂŽpital « pour des raisons sociales ». « Certains abusent de votre faiblesse », relĂšve la prĂ©sidente Ă  la lecture de pas moins de trois expertises psychiatriques de ce jeune homme, qui ne sait ni lire ni Ă©crire. « Que compter », ajoute-t-il naĂŻvement.

L’expert qui l’a rencontrĂ© la veille de l’audience parle d’autisme doublĂ© de troubles psychotiques et d’un comportement qui le rend vulnĂ©rable. Les psychiatres concluent tous Ă  une altĂ©ration du discernement. « Depuis deux ans, il rentre et sort de prison mais rien ne se met en place », dĂ©plore son avocate, selon laquelle il est « le pion parfait pour les rĂ©seaux de stupĂ©fiants ». Face aux juges, il s’excuse : « Je suis en prison, je ne peux rien dire. J’ai dĂ©jĂ  Ă©tĂ© torturĂ© par des gens qui sont en prison », justifie-t-il quand on le questionne sur son activitĂ© de dealeur Ă  la citĂ© Bel Air. « Je suis faible, ils ne me donnaient mĂȘme pas d’argent, ils disaient que c’était moi qui leur en devais. » Aux trois ans de prison dont un an avec sursis requis « pour que ça cesse », le tribunal prĂ©fĂšre le pari d’une Ă©niĂšme tentative de prise en charge : six mois de prison dont quatre mois avec sursis probatoire assorti d’une obligation de soins et d’une interdiction de paraĂźtre pendant trois ans Ă  la citĂ© Bel Air.

Polyaddiction, curatelle renforcĂ©e, irresponsabilitĂ© pĂ©nale : I., 34 ans, traite avec rĂ©gularitĂ© sa schizophrĂ©nie paranoĂŻde Ă  l’hĂŽpital. Il a Ă©tĂ© repĂ©rĂ© par les camĂ©ras de surveillance du quartier de Noailles lors d’un manĂšge qui, aux yeux du tribunal, ressort d’une transaction de stupĂ©fiants. Le jeune homme soutient qu’il n’était lĂ  que pour acheter sa consommation avec les 90 euros hebdomadaires que lui alloue sa curatrice. Mais c’est sa personnalitĂ© qui, une fois de plus, occupe les dĂ©bats. CondamnĂ© Ă  six ans de prison pour association de malfaiteurs terroriste, il a connu le sort des revenants de Syrie oĂč ses parents, radicalisĂ©s, s’étaient rendus en 2014 avec toute la famille. Plusieurs frĂšres et sƓurs sont morts lĂ -bas. Sa mĂšre est toujours en prison. LĂ  encore, le tribunal parie sur la rĂ©ussite d’une prise en charge sociale : douze mois avec sursis probatoire et une sĂ©rie d’obligations au premier chef desquelles celle de se soigner.

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      28 days ago

      Tu trouves la forme d’exploitation faite par une entreprise aussi mauvaise que celle faite par ces trafiquants de drogues?