lalibre.be Bornes de recharge : pourquoi autant de retard en Wallonie ? Nicolas Gobiet 7–9 minutes

Recharger sa voiture Ă©lectrique sur une autoroute wallonne ? Un vĂ©ritable casse-tĂȘte pour de nombreux usagers. Sur la carte europĂ©enne des bornes de recharge, la RĂ©gion s’apparente en effet Ă  vĂ©ritable dĂ©sert : seulement 2 486 stations de recharges existent, contre 14 344 cĂŽtĂ© flamand. “C’est catastrophique. On est un trou noir en Europe”, assĂšne Julien Matagne (Les EngagĂ©s), anciennement membre de la Commission mobilitĂ© du parlement wallon. Un retard notamment dĂ©plorĂ© par plusieurs exploitants. Explications. Un problĂšme politique

À l’heure actuelle, la Wallonie accueille seulement 13,33 % de l’offre totale des stations de recharge belges. En Flandre, on avoisine les 76,9 %, selon un recensement de mai 2024. Ce contraste flagrant entre les deux entitĂ©s agace de nombreux acteurs du secteur." Le rĂ©seau de mobilitĂ© Ă©lectrique s’est essentiellement dĂ©veloppĂ© ces cinq derniĂšres annĂ©es en Belgique. Mais, rien n’a bougĂ© au niveau des bornes wallonnes", dĂ©taille David Germani, chargĂ© des affaires publiques pour la sociĂ©tĂ© Fastned. “C’est un choix purement politique, on n’a pris aucune initiative sous cette lĂ©gislature alors qu’une vĂ©ritable demande existe”, surenchĂ©rit Philippe Vangeel, directeur opĂ©rationnel de EV Belgium, la fĂ©dĂ©ration de la mobilitĂ© zĂ©ro Ă©mission. 50 000 bornes de recharge menacĂ©es de devenir hors service, dĂ©jĂ  plusieurs utilisateurs touchĂ©s : voici pourquoi

Entre 2019 et 2024, le parc automobile Ă©lectrique est pourtant passĂ© de 2 398 Ă  17 299 voitures en Wallonie. Les ventes de ces vĂ©hicules nouvelle gĂ©nĂ©ration sont donc en pleine croissance. Mais si les affaires ont fleuri pour les constructeurs automobiles, le nombre de bornes de rechargement n’a, quant Ă  lui, pas suivi la mĂȘme dynamique. Au dĂ©but de la lĂ©gislature, les mesures gouvernementales en la matiĂšre sont restĂ©es maigres, voire inexistantes. C’est finalement en bout de course que des initiatives ont vu le jour. En fĂ©vrier 2023, dans le cadre du plan de relance, le gouvernement wallon a actĂ© un projet de dĂ©ploiement de 70 000 bornes Ă  l’horizon 2030. ProblĂšme : pour les opĂ©rateurs, ce dĂ©veloppement reste entachĂ© de plusieurs retards. Lenteurs et conservatisme

Au volant des opĂ©rations : le ministre Ă©cologiste de l’Énergie et de la MobilitĂ©, Philippe Henry, concentre les griefs. Chez Fastned, on s’étonne notamment de l’absence de demande des instances rĂ©gionales : “La Wallonie reste le seul endroit d’Europe occidentale a ne pas avoir lancĂ© le moindre appel d’offres public en mobilitĂ© Ă©lectrique ces derniĂšres annĂ©es. À notre dernier conseil d’administration Ă  Amsterdam, j’avais d’ailleurs du mal Ă  traduire les raisons de ce mauvais dĂ©veloppement. Tout simplement parce qu’il n’y avait pas d’explication logique”, explique David Germani. En coulisses, certains exploitants Ă©voquent des rĂ©unions effectuĂ©es avec l’administration restĂ©es sans suite et une mauvaise communication globale. Philippe Henry, ministre wallon du Climat et de l’Energie (Ecolo) sortant, conteste vigoureusement un manque de volontĂ© de l’exĂ©cutif.

CĂŽtĂ© politique, sur les bancs des EngagĂ©s, on regrette le manque de confiance du ministre envers les entreprises. “La mĂ©thodologie depuis le dĂ©but s’avĂšre mauvaise. Il y a eu une vĂ©ritable dĂ©fiance Ă  l’égard d’acteurs privĂ©s. On a privilĂ©giĂ© une sorte de conservatisme, tout en protĂ©geant la SOFICO et ses concessionnaires en empĂȘchant la concurrence privĂ©e de s’installer”, regrette le centriste Jean-Luc Crucke. Son confrĂšre, Julien Matagne abonde en ce sens :“Pour que le privĂ© fonctionne, il faut que le public l’anime, l’encourage, lui fasse comprendre qu’ils ont Ă  gagner en investissant chez nous. Philippe Henry ne l’a pas assez fait”. Les objectifs du ministre wallon semblent aussi avoir beaucoup fluctuĂ© au cours de la lĂ©gislature, ce qui n’a pas aidĂ© Ă  tarir les critiques de ses opposants. “On nous avait annoncĂ©, au dĂ©part, 12 000 points de charge, puis 6 000. Aujourd’hui, on est encore en dessous”, poursuit l’élu du Hainaut. Une augmentation de 108 %

Louis-Charles Mosseray, General Manager chez Electra, un de leaders du marchĂ© sur le Vieux continent, tient tout de mĂȘme Ă  nuancer le tableau. “Sur l’annĂ©e Ă©coulĂ©e, on remarque un essor important du nombre de points de charge rapide”. En terres wallonnes, on compte aujourd’hui 352 stations de ce type, soit 183 de plus qu’en mai dernier. Telenet se lance sur le marchĂ© des bornes de recharge pour vĂ©hicules Ă©lectriques

La Wallonie bĂ©nĂ©ficie donc du meilleur taux de pĂ©nĂ©tration du Royaume avec une augmentation de 108 % de son nombre de station de recharge rapide, selon des donnĂ©es de la fĂ©dĂ©ration de l’Automobile et du Cycle (FEBIAC). Pour Louis-Charles Mosseray, la Wallonie a su tirer profit de ses retards en investissant majoritairement dans les technologies dernier cri : “On ne peut pas comparer des pommes et des poires. Une borne lente alimente complĂštement un vĂ©hicule en 6 heures, alors qu’une rapide rĂ©alise ce travail en environ 20 minutes. Vous avez donc besoin de 25 fois moins de bornes. En Flandre et dans la capitale, on retrouve surtout des Ă©quipements lents”. PrĂ©cisons que les Bruxellois font d’ailleurs moins bien en la matiĂšre que les Wallons : leur nombre de bornes rapides n’étant passĂ© que de 23 Ă  33 entre mai 2023 et 2024, toujours selon les donnĂ©es de la FEBIAC. Des objectifs europĂ©ens

MalgrĂ© ses efforts de fin de lĂ©gislature, la Wallonie joue contre la montre. Un rĂšglement europĂ©en AFIR (Alternative Fuel Infrastructure Regulation), adoptĂ© en juillet 2023, oblige les pays membres Ă  installer des bornes de recharges rapides tous les 60 kilomĂštres sur certains axes centraux de leur rĂ©seau routier. Pour Julien Matagne, “les choses vont devoir s’accĂ©lĂ©rer, cela devra devenir une prioritĂ© pour les prochains gouvernements”. D’autant plus que, sauf revirement des conservateurs europĂ©ens du PPE, la vente de voitures thermiques sera interdite Ă  l’horizon 2035, augmentant de facto le nombre de vĂ©hicules Ă©lectriques circulant sur les routes. Alors une question se pose : le sud de la Belgique est-il prĂ©parĂ© Ă  fournir en Ă©nergie cette affluence de voitures Ă©lectriques ? Voitures Ă©lectriques, la fin pour les garagistes ?

Pour une partie des entreprises privĂ©es, le doute demeure. Selon Philippe Vangeel, cela dĂ©pendra des ambitions politiques, “le gouvernement devra enclencher la premiĂšre, les acteurs commerciaux feront le reste”.

Powerdot, Electra ou encore Sparki. RĂ©cemment diverses entreprises spĂ©cialisĂ©es dans la recharge Ă©lectrique ont manifestĂ© leurs intentions de dĂ©velopper leur activitĂ© sur le sol wallon. “On se situe Ă  l’annĂ©e zĂ©ro, tout reste Ă  faire”, concĂšde David Germani.

Si la mise en place a pris du temps, les choses semblent donc enfin s’accĂ©lĂ©rer. Du cĂŽtĂ© de la SOFICO, la sociĂ©tĂ© de financement complĂ©mentaire des infrastructures wallonnes, on affirme d’ailleurs que les objectifs qui lui ont Ă©tĂ© assignĂ©s sont pratiquement remplis : “Nous devons atteindre 11 000 kW pour mi-2026, Ă  dater d’une comptabilisation de fĂ©vrier 2020. Avant cette date, 1 900 kW Ă©taient installĂ©s et nous avons actuellement 8 850 kW installĂ©s sur notre rĂ©seau. Il reste donc 4 050 kW Ă  installer, nous sommes au deux-tiers”. Alors ce coup d’accĂ©lĂ©rateur tardif sera-t-il suffisant pour rattraper l’écart wallon ?